Ahcen Ait Amara, directeur central de l’Assainissement au MRE : «L’agression du domaine public hydraulique provoque les inondations»

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Ahcen Ait Amara évoque les risques d’inondations auxquels est exposés l’Algérie, en livre une petite cartographie tout en évoquant les aménagements des oueds et autres travaux effectués afin de protéger les villes du pays contre cette catastrophe naturelle. Le directeur central de l’Assainissement au ministre des Ressources en eau, affirme que «Ghardaia, Sidi-Bel-abbes et Bab El Oued sont définitivement sécurisées». Ahcen Ait Amara expose, dans cet entretien paru dans le numéro du mois d’octobre du magazine «Indjazat », les grandes lignes de la Stratégie nationale de lutte contre les inondations.

Disposez-vous d’une cartographie détaillée des zones inondables?

Je pense qu’avant de parler d’une cartographie des zones inondable, il faut d’abord dégager une vue d’ensemble des risques liés aux inondations parce que, la cartographie est une solution parmi d’autre que nous nous employons à élaborer pour parer à ce problème. Les inondations sont un problème qui touche, notamment ces dernières années, toutes les régions du pays, y compris celles du sud. Ces inondations sont dues, comme le disent beaucoup d’experts, aux dérèglements climatiques qui touchent tous les pays. L’Algérie n’est pas en reste. Mais les changements climatiques ne sont pas l’unique cause des inondations. Les inondations sont aussi dues à l’urbanisation non-contrôlée qui peut soit les causer, soit les accentuer.  Une inondation est généralement créée suite au débordement d’un oued à cause d’une forte pluviométrie.  Naturellement, nos oueds peuvent contenir  autant d’eau qu’ils ont contenue depuis des siècles.  Mais quand l’intervention humaine dérange le cours d’eau, empêche son écoulement et crée des obstacles sur son lit mineur et son lit majeur, c’est  là que les inondations arrivent.  La nature n’aime pas qu’on la dérange et elle a, de toute manière, toujours le dessus sur l’être humain.  De ce fait, les inondations dans les villes sont essentiellement dues à la main humaine.   C’est, en somme, l’agression du domaine public hydraulique qui crée des inondations dans les villes.

 

Pour revenir à notre question autrement, quelles sont les villes algériennes les plus exposées aux inondations et quels sont les types d’inondations que vous pouvez relever?

 

Les inondations ont généralement lieu dans deux types de villes. D’abord les villes traversées par des oueds comme Ghardaïa qui est traversée par Oued M’zab, Sidi Bel-Abbés par Oued Mekira, et Tamenrasset par un oued éponyme. Ces villes doivent être gérées d’une façon spécifique par rapport aux autres. Il faut faire des aménagements particuliers pour les oueds qui les traversent, et prendre des précautions pour qu’il n’y ait pas débordement de ces oueds.  Il y a ensuite les villes situées au piémont des montagnes comme Khenchla, Batna, etc. Dans ces villes, compte tenu de la topographie, dès qu’il y a une pluviométrie importante, il peut y avoir des débordements. Ce type de ville nécessite donc également une gestion particulière pour éviter des inondations. Dans les bassins versants par contre, il n’y a pas de risque d’inondations, même quand il y a une forte pluviométrie et une forte précipitation car la main humaine n’y est pas intervenue. Les inondations concernent essentiellement les villes. Toutefois, dans le sud, c’est autre chose. La spécificité des inondations dans les villes du sud diffère complètement de ce qui se passe au nord. D’abord parce que les pluies dans le sud sont soudaines. Ensuite parce que les oueds ne sont pas visibles à cause du sable qui les dissimule. Il n’y a pas de matérialisation des oueds, ce qui n’empêche pas la nature de reconnaitre son chemin. Ainsi, quand il y a des pluies importantes, même si l’agression du domaine public hydraulique n’y est pas, des inondations soudaines peuvent survenir et coûter la vie à des humains, comme cela est arrivé au grand artiste Athmane Bali.

Comment comptez-vous parer concrètement aux inondations et en protéger les villes?

Notre mission est d’abord de faire des études de protection des villes contre les inondations. Ces études sont spécifiques pour chaque ville. Nous sommes en ce moment en train de mettre en œuvre les solutions préconisées dans le cadre de ces études. A Ghardaïa par exemple, les inondations qui y ont eu lieu en octobre 2008 sont dues à l’agression du domaine public hydraulique. La crue de l’Oued Mzab dépasse 1200 M3/Seconde. C’est une crue milléniale. Pour contenir cette crue, il fallait créer, en aval un reprofilage de l’oued, faire son élargissement et faire des aménagements pour lui permettre un meilleur écoulement, notamment au niveau de la ville.  En amont, il fallait réaliser un barrage écrêteur pour stopper la crue maximale et trois digues  dont une sur le lit de l’oued lui-même et deux autres sur les deux principaux affluents de ce oued. Ce travail, nous l’avons fait après ce qui est arrivé dans cette ville. En 2008, la digue du oued, qui était heureusement prête, a contenu plus de 20 millions de mètres cube et malgré cela, il y a eu des dégâts.  Mais, juste après, nous avons réalisé les deux autres. Actuellement, on peut affirmer que la ville de Ghardaïa est définitivement sécurisée contre les inondations même si on enregistre  une crue milléniale.  L’autre exemple édifiant, c’est le travail que nous avons fait à Sidi-Bel-Abbès. Nous avons étudié la problématique au niveau de cette ville et nous avons constaté que la solution était similaire à celle de Ghardaïa. En aval, on fait des aménagements de l’oued, des corrections et réaliser quelques petits bassins.  Et, en amont, réaliser le barrage écrêteur Tabia qui peut emmagasiner jusqu’à 25 millions de mètres cube.  Toutes les crues que nous avons eues ces dernières années, notamment à Sidi-Bel-abbès, nous ont permis de constater que le système fonctionne très bien. Là aussi, nous pouvons affirmer que la ville de Sidi-Bel-Abbès est définitivement sécurisée contre les inondations.  Il y a autre chose que nous sommes en train de faire pour parer aux inondations: mettre en place une stratégie nationale de lutte contre ce phénomène naturel. Dans le cadre de la coopération avec l’Union Européenne, nous avons eu un don de 1.6 million d’euros pour financer une étude pour l’élaboration de cette stratégie. On a sélectionné un consortium de bureaux d’études étrangers qui ont déjà réalisé l’étude, qui a duré trois ans, et nous l’avons fait valider en présence de tous les départements ministériels. Actuellement, on a une visibilité jusqu’à 2030 en matière de protection des villes contre les inondations. Ce qui reste à faire est de mettre en œuvre le schéma de travail qui se dégage de cette étude.

Quelles sont les grandes lignes de ce schéma directeur de protection des villes contre les inondations?

Nous avons pu relever, à travers cette étude, qu’il y a 689 villes algériennes qui sont sujettes à des inondations.  On va agir dans ces zones afin de les sécuriser. Toute l’action du ministère des Ressources en Eau dans le cadre du plan quinquennal  2015-2019, va porter sur cette question. Il s’agit d’apporter des solutions structurelles au problème. Les solutions structurelles portent essentiellement sur la protection matérielle des villes: reprofilage des oueds, élargissement et aménagement de leurs lits, mise en place de barrage écrêteur, etc. Mais ces solutions structurelles ne sont pas suffisantes parce qu’il faut aller vers l’aléa climatique et aller vers des mesures non-structurelle. Ces dernières consistent principalement à établir une cartographie dynamique des zones inondables et mettre en place un système de prévision et d’alerte. L’objectif premier de cette cartographie est de faire en sorte que chaque responsable local ait devant lui un document qui lui permet d’identifier tous les points sujets à des inondations dans sa région et à gérer les risques y inhérents. Le deuxième objectif est de généraliser le système de prévision et d’alerte de crue aux 689 zones que nous avons évoquées. Ce travail est déjà entamé dans certaines villes, comme à Sidi Bel-Abbés. Nous sommes, par ailleurs, au niveau de notre agence, en train d’installer une centaine de stations hydrométriques au nord du pays pour observer et mesurer la pluviométrie entièrement automatisées et qui donnent l’alerte en temps réel sur toute possibilité d’inondations. Ce travail nous a coûté, entre 2010 et 2014, plus de 100 milliards de dinars.

Vous dites que les villes de Ghardaïa et de Sidi-Bel-Abbès sont définitivement sécurisées contre les inondations. Est-ce que on peut dire autant de Bab El Oued?

Oui. Qu’est-ce qui s’est passé en novembre 2001? Il y avait, d’un coté, une forte pluviométrie et, d’une autre, les pluies ont charrié des tonnes de boue et, en l’absence de systèmes d’évacuation,  on a eu ce drame.  Actuellement, on a réalisé un collecteur, Oued Mkessel, qui prend naissance au niveau des cinq bassins versants de la zone, et débouche sur la mer. Ce collecteur a un diamètre de quatre mètres et plonge à 30 mètre de profondeur. Par conséquent, toutes les pluies qui peuvent affluer vers les 5 sous-bassins de cette zone, qu’elles que soient les précipitations, peuvent être contenues dans ce collecteur Oued Mkessel. Toute la partie centre de Bab El Oued est, nous pouvons l’assurer, complètement sécurisée. Il n’ay aura plus de Bab El Oued Bis en matière d’inondations.

On a parlé d’urbanisation et d’agression du domaine public hydraulique. Est-ce qu’une autorisation du ministère des Ressources en Eau est requise pour la délivrance d’un permis de construire?

Logiquement oui. Dans les textes, c’est requis. Mais il y a quelques cas où cela ne se fait pas. Or, nous devrions donner notre visa pour délivrer un permis de construire parce que, le domaine public hydraulique, c’est nous qui le connaissons. Il y a une responsabilité collégiale et chacun doit en assumer sa part pour protéger nos villes contre les inondations. Malheureusement, comme je l’ai dit, il y a plusieurs constructions faites sur le domaine public hydraulique et notre rôle se limite à alerter. Nous alertons, mais ce n’est pas suffisant.

Qu’en est-il des réseaux d’évacuation des eaux? En faites-vous un curage permanent? Sont-t-ils en bon état?

Dés que le mois d’aout arrive, avant même que les premières pluies ne tombent, nous faisons un rappel à toutes les collectivités locales  et à tous les gestionnaires du service public de l’eau et de l’assainissement à travers le territoire national pour le curage des réseaux d’évacuation et des oueds. Malheureusement, ces réseaux sont  parfois vétustes, étroits et, surtout, unitaires, c’est-à-dire qu’ils évacuent et les eaux usées et les eaux de pluie. Or, il ne faut pas faire des économies de chandelles dans la qualité et le dimensionnement des ouvrages. Tous les ouvrages liés à la protection des villes contre les inondations, même s’ils coûtent plus chers, doivent être construits dans les normes, car la nature est imprévisible.

Entretien réalisé par Nabil Bellal